Un Goncourt Place Morichar

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Je suis Charles Plisnier.
Vous ne me connaissez plus ?
Ce n’est rien.
Je reste vivant. Je vis encore ce que vous vivez, entre frontières qui s’ouvrent et murs qui se dressent.
J’ai grandi à Mons, ville de mes premières amours.

J’ai habité Place Morichar, entre les deux guerres. J’étais avocat. Je ne défendais pas n’importe quelle cause. Dès cette époque, comme mon héroïne Pilar, j’ai cessé d’être tranquille ! J’ai défendu Sacco et Vanzetti. J’ai été communiste. Jusqu’à ce qu’on me mette à la porte du Part. Comme Trotski.

IMG_2294Le mardi, je recevais chez moi de nombreux artistes et intellectuels comme les poètes. On reconstruisait le monde et la culture.

J’ai reçu le Goncourt en 37, pour Faux Passeports. C’était un plaidoyer pour la liberté et la responsabilité individuelles. On n’avait pas encore donné le prix à un écrivain non français.

9782804013042FSEt comme je combattis ! Au dehors, contre les ennemis de l’Internationale ; au-dedans, contre ces frères en qui je croyais voir monter l’erreur et qui allaient, de jour en jour dégénérant. Ah ! combien de séances nocturnes, autour des tables de bois blanc, à discuter les thèses, à chercher les mots d’ordre ; combien de meetings dans les salles saturées de fumées et de sueur, d’impatience et d’espérance ; combien de manifestations et dans combien de villes, au-devant de ces cortèges escortés de camions de police et guettés par les fusils ; combien d’itinéraires à travers cette Europe où mon destin m’enfermait, toujours seul contre le pouvoir, autos-mitrailleuses de Hambourg, barque illégale sur la Baltique, rêts de la gendarmerie de Sofia, officiers à toutes les frontières – il faut passer, passage, passe-passe, faux passeports. (Faux passeports, Corrêa, 1937, pp. 15-16)

Le soir même, je fus à la prison.

Dans ce parloir où j’attendais qu’on m’amenât Maurer, j’oubliais Pilar, sa triste histoire d’amour et son cœur partagé. Que mon esprit réprouvât l’attentat individuel, ne pouvait empêcher qu’une violente sympathie me portât vers cet homme qui avait tué. Et sans doute les révolutions ne se font pas de cette manière. Mais dans cette Espagne du Directoire où la révolte était un feu vieux et dormant, est-ce qu’il n’était pas ordonné à certains de jeter des étincelles pour faire lever les moissons de flamme ? Et celui-ci avait sacrifié plus que sa vie ?

[…]

Tout à coup, il m’interrompit. :

– Vous n’êtes pas libertaire ?
– Non ! Avant vingt-huit, j’appartenais au Parti Communiste.
– Alors, fit-il en souriant, alors, pour vous, je suis un assassin vulgaire, bon après tout pour la corde….
– Non, Maurer, répondis-je. Vous vous trompez. Je ne puis approuver vos méthodes. Ce sont celles de gens qui croient qu’on fait l’histoire avec des héros. Et je crains qu’en fin de compte, elles ne causent au mouvement ouvrier, à peu près autant de mal que de bien. Mais je vous prie de ne pas me tenir pour un ennemi, ou un imbécile.

Alors, il rit de tout son cœur et se mit à me parler comme un ami. imsg06

(Faux passeports, Corrêa, 1937, pp. 60-63)

 

 

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